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L'originalit est un don bien rare chez les po tes; cette facult d'invention et de cr ation ne r side qu'en un petit nombre d'esprits, troupeau d' lite, que la nature r pand et l de loin en loin comme des feux pour guider les pas chancelants de l'humanit . Mais quoique d pourvu de cette tincelle divine, il n'est pas cependant impossible de se faire une place honorable dans les lettres ou dans les arts. Une imitation judicieuse, un go t pur, un vers l gant peuvent compenser les avantages que seul poss de le g nie. On voit alors ces hommes remarquables tant de titres se choisir parmi les toiles qui brillent dans leur firmament, un guide, un ami pour appuyer leurs pas incertains par leurs propres forces. C'est ainsi du moins qu'agit Boileau, l'un des plus sages crivains du XVIIe si cle. Ce fut Horace qu'il prit pour soutien dans sa carri re; c'est sur lui qu'il fixa ses regards et modela ses actions. Toute son ambition fut d'approcher de ce grand ma tre.
La chose n' tait pas facile: approcher Horace, m me de loin, c'est une entreprise hardie -- j'allais dire t m raire. Quel Prot e aux mille formes que ce po te tour tour badin et sublime, rieur et m lancolique, sceptique et croyant Quelle prodigieuse mobilit dans cet esprit qui unit la finesse et la puret des formes la profondeur et l' tendue des id es Il sourit au printemps pr s d' clore, et l'acclame de ses joyeux refrains; il raille l'inqui tude des mortels, et soupire un moment apr s sur l'inconstance de leur fortune. Il se joue aujourd'hui sur le mode anacr ontique des grands noms du peuple-roi; vous le verrez demain saisir la lyre de Pindare et faire vibrer de ses plus fins accents la corde patriotique. Il a jet son bouclier Philippes, il encense Auguste avec la na vet et l' tourderie d'un vrai po te; cela ne l'emp chera pas de pleurer sur Brutus, et, le verre en main, de c l brer la vertu de Caton. La nature s'anime sous son l ger pinceau. Il rev t des plus brillantes couleurs les sujets les plus arides et ses vers semblent tourbillonner devant nous comme un choeur de Bacchantes enivr es dans le silence de la nuit. D lire orphique, boutades de moraliste, orgies picuriennes, rien ne lui est tranger: il transforme en or tous les m taux qu'il touche, et il les touche tous. C'est une mani re de La Fontaine, grand enfant simple et cr dule le matin, moqueur et libertin le soir, galement susceptible d'enthousiasme et de d couragement, passant d'une motion l'autre sans transition avec une incroyable c l rit , vivant et mourant en po te, c'est dire en r veur, sur la tombe duquel on pourrait graver les vers de R gnier:
Je v cus sans nul pensement
Me laissant aller doucement
la bonne loi naturelle.